Pétrik et de la précision de fabrication des Etablissements Damon.
Damon modernise le fusil et abandonne progressivement le système sur étriers à partir de 1942 (le dernier fusil de ce type sera fabriqué en 1947) pour celui sur tourillons. Le verrou à tuile (brevet Pétrik) qui coiffe le canon et coulisse vers l'arrière sous le mouvement de la clef est en effet si résistant qu'associé au basculage sur tourillons, qui assurent une assise solide des canons dans les flancs de la bascule, il se passe de tout autre système, crochets ou verrou supplémentaire. Le système à tourillons a été inventé par Pidault, arquebusier à Auxerre en 1885 et se retrouve sur le Boss superposé. Les premiers tourillons ont un large crochet interne, puis deux crochets traversent la bascule par deux lumières et sont visibles à l'extérieur.

L'arrêt des machines et d'une histoire.
Après la mort de M. Damon en 1950, la société sera gérée jusqu'à sa fermeture, en 1984, par ses deux fils et sa fille. J'ai eu la chance de rencontrer cette dernière, Mme Cizeron, dans les années 1990. Je me souviens de mon émotion lorsque je suis arrivé au 7 rue des Francs-Maçons, à Saint-Etienne, quelques années après la prononciation de la liquidation amiable. Mme Cizeron m'attendait à l'entrée de l'usine, dont nous avons fait ensemble la visite. En passant la porte, je remarquais la pendule de pointage arrêtée, certainement, à la dernière heure du jour de fabrication. Le silence absolu qui régnait procurait une sensation bien étrange dans ces ateliers remplis de machines, toutes à l'arrêt. Au pied des fraiseuses, des caisses remplies de pièces de rebus (bascules, frettes, pontets) me permirent d'appréhender les différentes opérations mécaniques de la fabrication du fusil.
Mon hôtesse m'autorisa à consulter les registres de production année par année. C'est peu de dire que dater les fusils Damon est difficile. La numérotation change avec les calibres, les étriers et les tourillons, les extracteurs et les éjecteurs. Les notes rapides que j'ai pu prendre m'ont toutefois permis de dater la plupart des fusils de la marque à partir du n°1, en novembre 1926, jusqu'au dernier, sans doute vers 1983. Les numéros 1,2,3 et 4 n'ont pas d'éjecteur, le 6 en possède, le 7 est avec un faux corps de renforcement, le 8 avec faux corps de platines encastrés et indépendants, verrou obturateur et canons avec double crochet de recul. On dénombre aussi quelques Duchâteau à platines et contre-platines. Il existe aussi quelques fermetures de type Francotte. Je connais même un express en calibre 9,3 x 74R fabriqué avec une bascule et une frette Damon. Avec les divers suppléments proposés lors de la commande, la diversité des modèles était grande. Comme le plupart des manufactures, les Etablissements Damon mentionnaient sur leur catalogue des modèles "bis" (il y eut des numéros 1 bis, 2 bis et 3 bis), assemblés par les meilleurs ouvriers et bénéficiant de pièces de choix, sélectionnées parmi les mieux usinées. Ces fusils n'étaient pas identifiés par un marquage particulier, mais sont reconnaissables par un œil averti.
Mon modèle préféré est le numéro 2, avec la bande entre les deux canons et un basculage sur tourillons ; les calibres 12 que je possède pèsent 2,6 kg. Je détiens aussi un numéro 1 en calibre 16 (2,3 kg), qui est un régal pour chasser la bécasse. Mes fils ont des numéros 2 de calibre 20 fabriqués avec des bascules de calibre 16 ; ils pèsent 2,6 kg et leur frette est plus épaisse.
Comme j'aime ces fusils légers, que ce soit pour chasser le lièvre aux chiens courants sur les causses du Lot et de la Lozère, du mont Aigoual ou la bécasse au chien d'arrêt sur le plateau des Millevaches... Me revient en mémoire une lettre écrite à Molsheim en 1931 et adressée à André Damon : "J'ai des fusils d'autres constructions de même modèle, et je suis très heureux de pouvoir dire que je considère votre construction comme tout à fait supérieure. L'arme est excessivement légère et le fini des détails est tout à fait exceptionnel." Ces mots sont ceux d'un certain Ettore Bugatti, le célèbre fondateur de l'enseigne automobile de luxe et de compétition. Tout est dit, fermez le ban !